Avec son groupe Orwell, le Lorrain Jérôme Didelot est un artisan reconnu de la pop indé francophone depuis les années 2000. Il s’est parfois aventuré en anglais pour quelques reprises (le mini-album Sunny Songs For Winter à Noël 2020 entre autres). Il a aussi fait chanter en français l’écossaise Isobel Campbell et la japonaise Sugar Me sur son projet parallèle Son Parapluie. Pourtant, une fois n’est pas coutume, le nouvel album d’Orwell sera cette fois totalement anglophone. Et pour cause, comme il nous l’explique en détail ci-dessous, c’est dans la discographie de Simple Minds qu’il est allé puiser, plus précisément le début des années 80 : "Sons and Fascination / Sisters Feelings Call" (81), New Gold Dream (82) et Sparkle In the Rain (84). Une période charnière et incroyablement productive pour la bande de Jim Kerr. Et qu’importe si Simple Minds n’a guère l’adhésion d’un monde indie peu friand de « rock de stade » : il aura tout intérêt à se pencher un peu sur ces quelques titres peu ou pas connus, revus… à la sauce Orwell !
« Reprendre des chansons... Pour quelqu'un qui se destine à en écrire, c'est un peu la base de l'apprentissage. D'ailleurs, les premières chansons d'un compositeur ou d'une compositrice peuvent souvent passer pour des reprises déguisées en titres originaux. À moins bien sûr d'avoir affaire à un pur talent précoce. Pour moi, ce fut laborieux
Je dois avoir 14 ans, je n'ai jamais appris la musique mais je me suis acheté une basse pour former un groupe avec mon pote Olivier. Pas de chance, celui que j'étais allé aborder dans la cour du collège quelques mois plus tôt parce qu'on m'avait dit qu'il possédait le maxi 45 tours de Speed Your Love To Me de Simple Minds - fait rare à Metz en 1984 - devait déménager.
On me présente Stéphane, un lycéen de passage dans la région (son père est un journaliste connu qu'on voit à la télévision) qui possède une guitare et qui est OK pour qu'on se produise en concert à une soirée, accompagnés d'une boîte à rythmes. Nous travaillons alors cinq chansons : A Forest de The Cure, President Gas de The Psychedelic Furs, Rain de The Cult et deux titres de groupe The Sound, que j'adorais à l'époque : Contact's The Fact et Missiles. Des morceaux qui tournaient beaucoup en ce milieu des années 80 sur les cassettes de ceux de ma génération qui fantasmaient la "new wave" anglaise, également appelée post punk.
Le côté épuré et direct - émanation du punk - permettait aux musiciens non expérimentés dont je faisais partie de nous emparer de cette musique par ailleurs très évocatrice. Simple Minds était un des groupes phares de cette période, pourtant nous ne nous sommes pas risqués à tenter de reprendre un de leurs titres. Car à l'époque, ce groupe avait quelque chose de très particulier, d'unique. Ses chansons n'en étaient pas vraiment, assemblages originaux nés d'on ne savait quelle alchimie, exécutés par des musiciens d'une extrême précision.
Par la suite, pour écrire mes propres chansons, je suis plutôt allé chercher l'inspiration du côté des maîtres incontestés en matière de confection pop (Beatles, Beach Boys, Bacharach, Bowie pour ne citer que la lettre B) me détournant quelque peu de mes émois adolescents, même si certains d'entre eux – Pale Fountains, Prefab Sprout – étaient dans la parfaite filiation des grands anciens. J'ai donc tracé mon chemin, avec le groupe Orwell, en tentant d'adapter ces préceptes mélodiques à la langue française.
Mais on est toujours rattrapé par son passé. Les premiers disques de Simple Minds ne sont jamais restés bien loin de ma platine, même lorsque j'explorais de tout autres territoires. Je n'en faisais pas grande publicité, le groupe de Glasgow n'étant pas forcément une référence chez les esthètes de la pop que je fréquente. Et puis j'ai lu le livre Themes for Great Cities de Graeme Thomson. Cette biographie, dont la principale caractéristique est de rendre hommage à l'inventivité des premières années du groupe Simple Minds, me fit l'effet d'une révélation. Son auteur est parvenu à formuler de nombreuses sensations qui étaient restées sans traduction chez le jeune auditeur que j'étais.
J'avais déjà enregistré, quelques années auparavant, une reprise de Speed Your Love To Me, avec simplement une guitare et ma voix. Mais la lecture de Themes for Great Cities me fit apparaître une évidence : il fallait que j'aille plus loin. L'idée n'était pas de réinterpréter des morceaux que tout le monde a déjà fredonnés, mais d'aller chercher dans la discographie du groupe écossais des thèmes moins connus, parfois noyés dans la radicalité du son de ces premiers albums, et de les proposer dans des versions personnelles, presque solennelles. Car on le sait, la musique que l'on découvre à l'adolescence, c'est plus que de la musique. Sublimées dans un imaginaire en construction, des chansons anodines pour les uns peuvent devenir des hymnes pour les autres. Ce phénomène est particulièrement vrai concernant Simple Minds, le symbolisme étant très présent dans les premières productions du groupe (paroles absconses mais évocatrices, associations de mots énigmatiques, convocation des éléments...). J'ai alors pioché dans ces souvenirs emphatiques quelques chansons qui en étaient presque devenues d'autres à force de construction mentale et j'ai sollicité les collaborateurs historiques d'Orwell (Régis Nesti, Jacques Tellitocci, Emmanuel Harang et Renaldo Greco bien sûr, mais également Alexandre Longo - aka Cascadeur et Thierry Bellia - aka Variety Lab) afin de m'aider à les embellir. Sans oublier Sarah Tanguy (violoncelle), Mathilde Legée (violon), Sébastien Fetet (enregistrement, mixage) et Olivier Godot (artwork), vous savez, celui de la cour du collège. "He's so simple minded" chantait David Bowie... Les esprits simples peuvent faire de grandes choses. »
Titre par titre par Jérôme Diderot - Orwell
20th Century Promised Land : Même pour un fan de la première heure, ce choix peut paraître étonnant, car, à ma connaissance, ce titre n'a jamais été joué sur scène par Simple Minds. J'ai toujours pensé que son refrain, qui met un certain temps à arriver, était l'un des meilleurs que le groupe ait pondus à cette époque, pas forcément mis en valeur dans l'arrangement original, assez frénétique (basse et claviers se répondent dans une course effrénée). Il s'est donc agi de démocratiser cette étrange pièce musicale dont les premiers mots constituent une parfaite entrée en matière : "Stories came like the wind..."
Big Sleep : Ce morceau est extrait de l'album New Gold Dream, qui correspond au moment où ces jeunes stakhanovistes (six albums en quatre ans) se sont mis à écrire de vraies chansons, à laisser entrer la lumière dans leur son crépusculaire. Il me paraissait intéressant de déshabiller la chanson de ses atours très ancrés dans ce début des années 80 (synthétiseur, basse "slappée", batterie noyée dans la réverbération) pour en extraire les composants les plus intemporels.
Up On The Catwalk : Morceau issu d'une période de transition pour Simple Minds, le groupe de club va laisser la place au groupe de stade. Le producteur Steve Lillywhite a concocté un son énorme pour faire advenir cette mutation. Pourtant, j'ai toujours perçu quelque chose de nostalgique, presque tragique, dans ce titre derrière son côté énergique, que j'ai essayé de privilégier dans cet arrangement épuré.
Wonderful In Young Life : Même remarque que pour 20th Century Promised Land, ce titre n'est pas souvent cité, même par les fans "hardcore". J'adore la rupture entre ses couplets rêches et brutaux et son refrain intrigant et hypnotique. Dans la version d'Orwell, un piano sous influence Carole King est devenu la matrice d'un morceau qui lorgne humblement les productions du Bowie de la fin des années 70.
Speed Your Love To Me : L'enregistrement original de cette reprise date de 2010, mais quelques coups de pinceau plus récents ont été ajoutés, en premier lieu la voix translucide de la jeune Anthéa Faure-Pouget, qui renforce la dimension aérienne de la chanson.
Seeing Out The Angel : La version originale est lente, contemplative, élégiaque, sans concession. Dans celle d'Orwell, les cordes des guitares acoustiques et des violons, violoncelle et contrebasse ont remplacé les instruments électrifiés, une fois encore pour souligner la qualité hors des modes de cette composition. D'ailleurs, Simple Minds en a repris la trame pour faire son tube de 1988, Mandela Day. Mais Seeing Out The Angel est autrement plus originale à mes yeux.